L’indemnité d’éviction

L’indemnité d’éviction est une somme d’argent que le bailleur doit verser au locataire commercial lorsqu’il refuse le renouvellement du bail, sauf exceptions prévues par la loi. Ce mécanisme vise à protéger le locataire qui exploite un fonds de commerce dans le local loué, et qui bénéficie d’un droit au maintien dans les lieux.

L’indemnité d’éviction

L’indemnité d’éviction doit compenser le préjudice causé par le défaut de renouvellement, qui peut entraîner la perte du fonds de commerce ou son déplacement. L’indemnité d’éviction est donc un sujet important pour les acteurs du droit immobilier, qui doivent connaître ses conditions, ses modalités et son calcul. Dans cet article, nous allons examiner le régime juridique de l’indemnité d’éviction, en distinguant trois parties : le principe, les conditions et le calcul de l’indemnité d’éviction.

Le principe de l’indemnité d’éviction

L’indemnité d’éviction est fondée sur l’article L. 145-14 du Code de commerce, qui dispose que “le locataire qui, à l’expiration du bail, justifie d’une immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, a droit au renouvellement de son bail, sauf si le propriétaire lui verse une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement”. Cet article garantit au locataire commercial le droit au maintien dans les lieux, qui constitue une sorte de “propriété commerciale” protégée par la loi. En effet, le locataire qui exploite un fonds de commerce dans le local loué a un intérêt à conserver son emplacement, sa clientèle, sa notoriété, etc. L’indemnité d’éviction vise donc à protéger et à valoriser le fonds de commerce du locataire, en lui assurant une compensation financière en cas de refus de renouvellement du bail par le bailleur. L’indemnité d’éviction permet également au bailleur de recouvrer la libre disposition de son bien, moyennant une contrepartie financière. Le bailleur peut ainsi reprendre le local pour l’exploiter lui-même, le céder à un tiers, le démolir ou le reconstruire, etc. L’indemnité d’éviction constitue donc un équilibre entre les intérêts du locataire et ceux du bailleur, qui sont soumis à des conditions et à des modalités que nous allons examiner dans les parties suivantes.

Les conditions de l’indemnité d’éviction

L’indemnité d’éviction n’est pas due automatiquement par le bailleur au locataire commercial. Elle est soumise à des conditions relatives au congé et au refus de renouvellement, qui sont prévues par les articles L. 145-9 à L. 145-17 du Code de commerce. Ces conditions sont les suivantes :

  • Les conditions relatives au congé : le congé est l’acte par lequel le bailleur manifeste son intention de ne pas renouveler le bail. Le congé doit être donné par le bailleur au moins six mois avant l’expiration du bail, par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte d’huissier. Le congé doit mentionner le refus de renouvellement et le montant de l’indemnité d’éviction proposée par le bailleur, ainsi que les motifs du refus. Le congé doit également informer le locataire de son droit de contester le refus de renouvellement ou le montant de l’indemnité d’éviction devant le juge des loyers commerciaux, dans un délai de deux ans à compter de la date du congé.
  • Les conditions relatives au refus de renouvellement : le refus de renouvellement est la raison pour laquelle le bailleur ne souhaite pas prolonger le bail. Le refus de renouvellement doit être motivé par le bailleur, qui peut invoquer soit un motif grave et légitime à l’encontre du locataire, soit la nécessité de démolir ou de reconstruire l’immeuble, soit son intention d’exploiter personnellement le local ou de le céder à un tiers. Le motif grave et légitime est celui qui rend impossible le maintien du locataire dans les lieux, comme l’inexécution de ses obligations contractuelles, la sous-location non autorisée, la cessation d’activité, etc. La nécessité de démolir ou de reconstruire l’immeuble est celle qui résulte d’un arrêté de péril, d’une décision administrative, d’un plan d’urbanisme, etc. L’intention d’exploiter personnellement le local ou de le céder à un tiers est celle qui correspond à un projet sérieux et réel du bailleur ou de ses proches, qui doit être compatible avec la destination du bail.

Les conséquences du congé et du refus de renouvellement sont les suivantes :

  • Les conséquences pour le locataire : le locataire peut accepter ou refuser l’indemnité d’éviction proposée par le bailleur, ou demander une fixation judiciaire de son montant. S’il accepte l’indemnité d’éviction, il doit quitter les lieux dans un délai de trois mois à compter de la notification de son acceptation, sauf prorogation accordée par le juge. S’il refuse l’indemnité d’éviction ou demande une fixation judiciaire, il peut rester dans les lieux jusqu’à ce que le juge statue sur son sort. S’il conteste le refus de renouvellement, il peut demander au juge de prononcer le renouvellement du bail, si le motif invoqué par le bailleur n’est pas fondé ou si le bailleur n’a pas respecté les formalités du congé.
  • Les conséquences pour le bailleur : le bailleur peut renoncer à son refus de renouvellement et consentir au renouvellement du bail, à condition de le faire avant que le juge ne statue sur l’indemnité d’éviction. S’il maintient son refus de renouvellement, il doit verser l’indemnité d’éviction au locataire, soit à l’amiable, soit selon le montant fixé par le juge. S’il ne verse pas l’indemnité d’éviction dans le délai imparti, il peut être condamné à des intérêts moratoires, à des dommages-intérêts, ou à une astreinte. S’il verse l’indemnité d’éviction, il peut reprendre le local pour l’utiliser conformément à son projet.

Le calcul de l’indemnité d’éviction

L’indemnité d’éviction est fixée soit par accord amiable des parties, soit par le juge des loyers commerciaux, qui se fonde sur l’avis d’un expert. L’indemnité d’éviction comprend deux éléments : l’indemnité principale et les indemnités accessoires.

  • L’indemnité principale correspond à la valeur du fonds de commerce du locataire, évaluée selon les usages de la profession, la rentabilité, le chiffre d’affaires, la clientèle, etc. L’indemnité principale doit permettre au locataire de se reconstituer un fonds de commerce équivalent à celui qu’il a perdu. L’indemnité principale est généralement calculée en appliquant un coefficient multiplicateur au chiffre d’affaires annuel moyen du locataire, qui varie selon la nature de l’activité, la localisation, la superficie, etc. Par exemple, pour un commerce de détail, le coefficient multiplicateur peut être compris entre 0,5 et 2,5 ; pour un commerce de restauration, entre 1 et 3 ; pour un commerce de services, entre 0,5 et 1,5 ; etc.
  • Les indemnités accessoires comprennent les frais de déménagement, de réinstallation, de remploi, de licenciement, la perte d’exploitation, le préjudice moral, etc. Les indemnités accessoires doivent couvrir les dépenses et les dommages subis par le locataire du fait du refus de renouvellement. Les indemnités accessoires sont évaluées en fonction des justificatifs fournis par le locataire, tels que les devis, les factures, les attestations, etc. Par exemple, les frais de déménagement peuvent être estimés à 10 % du chiffre d’affaires annuel moyen du locataire ; les frais de réinstallation, à 15 % ; les frais de remploi, à 5 % ; les frais de licenciement, au montant des indemnités légales ou conventionnelles ; la perte d’exploitation, à la différence entre le chiffre d’affaires prévisionnel et le chiffre d’affaires réalisé ; le préjudice moral, à une somme forfaitaire ; etc.

Pour illustrer le calcul de l’indemnité d’éviction, prenons l’exemple d’un locataire qui exploite un salon de coiffure dans un local de 50 m2 situé dans une rue commerçante d’une grande ville. Le bailleur lui donne congé avec refus de renouvellement, sans invoquer de motif grave et légitime. Le chiffre d’affaires annuel moyen du locataire est de 100 000 euros. Le coefficient multiplicateur applicable à son activité est de 1,5. Le locataire doit licencier deux salariés, dont les indemnités s’élèvent à 10 000 euros. Le locataire doit également déménager, se réinstaller et se remployer dans un autre local, dont le loyer est plus élevé. Le locataire subit une perte d’exploitation de 20 000 euros et un préjudice moral de 5 000 euros. L’indemnité d’éviction du locataire se calcule comme suit :

  • Indemnité principale = chiffre d’affaires annuel moyen x coefficient multiplicateur = 100 000 x 1,5 = 150 000 euros
  • Indemnités accessoires = frais de déménagement + frais de réinstallation + frais de remploi + frais de licenciement + perte d’exploitation + préjudice moral = (100 000 x 10 %) + (100 000 x 15 %) + (100 000 x 5 %) + 10 000 + 20 000 + 5 000 = 65 000 euros
  • Indemnité d’éviction = indemnité principale + indemnités accessoires = 150 000 + 65 000 = 215 000 euros

L’indemnité d’éviction du locataire est donc de 215 000 euros. Ce montant peut être accepté ou contesté par le bailleur ou par le locataire, qui peuvent demander au juge des loyers commerciaux de le réviser à la hausse ou à la baisse, en fonction des éléments de preuve qu’ils apportent.